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Un avatar du « complot juif mondial » : les Juifs et l’esclavage des Noirs

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Les Juifs ont-ils inventé, organisé, profité massivement de l’esclavage des Noirs ? L’accusation, inepte, a été forgée par des suprémacistes américains dans les années soixante, en s’inspirant librement des élucubrations de l’industriel antisémite Henry Ford. Etonnamment, elle sera reprise en 1991 par la « Nation of Islam » de Louis Eugene Walcott, dit Louis Farrakhan, dans un ouvrage s’inspirant de la méthodologie négationniste, The Secret Relationship Between Blacks and Jews. De là, elle s’implantera en France, propagée par des extrémistes tels que l’« intellectuel » Alain Soral ou l’ancien saltimbanque Dieudonné M’Bala M’Bala. Retour sur un des derniers avatars du « complot juif ».

Scène de commerce d’esclaves (non daté ; source : houseofpereira.com)

La traite des Noirs (c’est-à-dire le commerce d’individus capturés et déportés), l’esclavage des Noirs (c’est-à-dire le travail forcé) constituent le plus vaste trafic d’êtres humains de l’Histoire. Son bilan dépasse l’imagination. Traites internes à l’Afrique noire elle-même : au moins quatorze millions de personnes déportées ; traite arabo-musulmane, du VIIe siècle au XXe siècle : de sept à dix-sept millions de personnes déportées ; traite européenne transatlantique, à compter du XVe siècle et jusqu’au XIXe siècle : onze à douze millions de personnes déportées [1]. L’humanité entière, toutes régions, couleurs de peau et religions confondues, en est à l’origine, et en a tiré profit.

La traite atlantique, si massive, si lucrative aussi, était le corollaire de la mondialisation européenne. Ce trafic a été amorcé par le Portugal et l’Espagne vers le milieu du XVe siècle, perpétué par les Pays-Bas, l’Angleterre, la France, essentiellement pour abreuver de main d’œuvre servile leurs colonies d’Amérique, le tout avec l’aide d’Etats africains (mais non sans résistances locales). Siècle après siècle, le système esclavagiste est devenu, pour ainsi dire, la première réalité sociale des sociétés coloniales. Au point que, pour Tocqueville, « la destinée des nègres est en quelque sorte enlacée dans celle des Européens » [2]. Les pays nés de ces empires coloniaux, tels que les Etats-Unis et le Brésil, ont ainsi largement eu recours à l’esclavage jusque dans la seconde moitié du XIXe siècle [3].

« Peux-tu, honoré du nom de chrétien, acheter ce qui est né d’une femme, sans ressentir de honte ?, écrivait un poète anglais en 1782. Faire commerce du sang de l’innocence, et plaider l’utilité comme justifiant ton acte ? » [4] L’une des plus grandes catastrophes humaines de l’histoire, produite et revendiquée par l’humanité contre l’humanité, a laissé un héritage empoisonné. La traite, l’esclavage, ont nourri le racisme, lequel a fourni des fondements religieux voire scientifiques à l’oppression [5]. Leurs abolitions, pas toujours décidées pour des motifs humanitaires [6], ont été suivies d’une tentative d’oblitération du passé, de manière à ne pas bouleverser la hiérarchie sociale qui en avait résulté. Aux Etats-Unis, notamment, l’historiographie de l’esclavage a été longtemps dominée par des historiens « sudistes » [7], tandis que moult descendants d’esclaves sont restés au sein des plantations après la Guerre de Sécession, mal logés et sous-payés, puis victimes de la ségrégation.

Un passé qui ne passe pas

Ces tabous ne pouvaient durer. Lutte pour les droits civiques aux Etats-Unis, soif de respect et de reconnaissance en Angleterre et en France, ont généré, chez les descendants des esclaves, un appel au devoir de mémoire depuis un demi-siècle. Non sans se heurter à des dénis, ou une mauvaise conscience mêlée d’indifférence, sans parler des silences intéressant les traites internes à l’Afrique et celle ayant impliqué le monde musulman [8].

Certes, le sujet a été fortement balisé par l’historiographie. De même, des ports occidentaux ayant servi de plaques tournantes du trafic, tels que Bristol, Nantes, voire Bordeaux, ont peu à peu intégré l’histoire de la traite dans leur mémoire locale. Ces progrès ont cependant été lents, et partiels. Comme l’observait Ibrahima Thioub, professeur à l’Université Cheikh-Anta-Diop de Dakar, « cet effort de production scientifique n’a pas réussi à donner une visibilité à cet héritage dans l’espace public français » [9]. Le vote d’une loi par le Parlement français en 2001 tendant à désigner comme crime contre l’humanité « la traite négrière transatlantique ainsi que la traite dans l’océan Indien d’une part, et l’esclavage d’autre part, perpétrés à partir du xve siècle, aux Amériques et aux Caraïbes, dans l’océan Indien et en Europe contre les populations africaines, amérindiennes, malgaches et indiennes », a exacerbé ces tensions. Régulièrement, des polémiques ressurgissent sur un droit à réparations financières, revendiqué par certains courants mémoriels, tant aux Etats-Unis qu’en France [10].

Le contexte, mêlé de revendications légitimes, d’arrière-pensées politiciennes et d’ignorance pure et simple, était donc mûr pour favoriser des instrumentalisations idéologiques… comme celle tendant à faire des Juifs les inventeurs, les promoteurs, les organisateurs et les principaux bénéficiaires de la traite et de l’esclavage des Noirs. Le plus étonnant ne tient pas à l’objet même de ce « bobard » antisémite – mais dans le fait qu’il est propagé par des Noirs eux-mêmes, lesquels s’inspirent paradoxalement des falsifications commises par des suprémacistes blancs…

Aux origines du mensonge : l’extrême droite américaine

“Le Juif international”, de Henry Ford (édition américaine, 2017)

Déterminer les origines de cette accusation est, à ce jour, malaisé. Il semble toutefois qu’il faille remonter jusqu’à l’industriel américain Henry Ford et à son pamphlet antisémite Le Juif international, paru au début des années 1920 [11]. Dans cet ouvrage (auquel Adolf Hitler rendra hommage), Ford dénonce l’« invasion » juive de l’Amérique, qu’il fait remonter… à 1492. Après tout, le « fort probablement Juif » Christophe Colomb, n’aurait-il pas été financé, aidé et finalement trahi par les Juifs ? « Depuis lors, les Juifs virent de plus en plus l’Amérique comme une terre aux fructueuses promesses » : les voici qui émigrent massivement sur le continent, non pour fuir les persécutions, mais par pur appât du gain, usant de fourberie pour contourner le cordon sanitaire dressé par certains esprits raisonnables, allant jusqu’à s’emparer des rênes du « commerce extérieur », et faire de New York « le bastion de la juiverie internationale » [12].

Certes, Ford ne mentionne pas explicitement la traite et l’esclavage des Noirs. Il préfère dénoncer une fantasmagorique « traite des Blanc(he)s » par les Juifs [13]. De même recycle-t-il un bobard imputant aux Juifs la diffusion d’un puissant alcool parmi les Noirs, entraînant chez eux « la perte du respect des lois », ce qui, hélas, donnera lieu à des « émeutes raciales » suivis de « lynchages »… Une thématique qui s’inspire manifestement des rumeurs antisémites d’empoisonnements pratiqués par les Juifs [14] – et qui n’est pas sans augurer le mythe contemporain prêtant à la CIA la diffusion du crack parmi la communauté noire, ou l’introduction du virus du SIDA par le Mossad sur le continent africain.

Il n’empêche, les élucubrations de Ford feront des petits. Juif parasite, envahisseur, cosmopolite, commerçant… non, trafiquant : il suffisait d’un pas pour accuser les Juifs d’avoir organisé la traite des Noirs. Ce pas, un certain Walter White Jr. le franchit allègrement en 1968, dans un bref pamphlet publié à compte d’auteur, Who Brought the Slaves to America? (« Qui a amené les esclaves en Amérique ? »). White fait partie de la mouvance suprémaciste américaine, lourdement raciste et antisémite. Trois ans auparavant, il a fondé un groupuscule au nom évocateur, « Western Front » [15]. Son épouse, Opal, avait été l’une des assistantes de Gerald K. Smith, un célèbre pasteur suprémaciste et pro-nazi [16].

Avec un tel passé – un tel passif devrait-on dire –, son opuscule ne pouvait qu’être inquiétant et ridicule. Pourtant, c’est ce texte qui pose les fondements du mensonge faisant des Juifs les maîtres de la traite transatlantique. Dans sa forme, tout d’abord, puisque l’article se donne une allure universitaire : ton apparemment mesuré, accumulation de statistiques, référencement des sources, lesquelles incluent expressément Le Juif international d’Henry Ford – mais également des ouvrages d’historiens juifs américains. Sur le fond, ensuite : Walter White Jr. s’inspire du texte de Ford, parfois quasiment mot pour mot (reprenant notamment l’idée selon laquelle Christophe Colomb aurait été un agent des Juifs), mais innove en faisant des Juifs les grands architectes et bénéficiaires de la traite transatlantique.

“Who Brought the Slaves to America?”, de Walter White Jr. (1968)

L’auteur va jusqu’à faire sien le fantasme antisémite du Juif inapte au moindre effort physique : « les Juifs, presque toujours, engageaient des capitaines [de négriers] non-juifs », car ils « préféraient rester dans leurs bureaux » et « faisaient les comptes de leurs énormes bénéfices à l’issue de chaque voyage ». Walter White Jr. doit tout de même concéder l’existence d’un capitaine juif, un certain « capitaine Freedman », mais se rassure en précisant qu’il passait son temps à violer ses captives noires – « ce qui a généré un nouveau type de mulâtre lorsqu’ils arrivèrent en Amérique ».

« Sans surprise, Who Brought the Slaves to America? est ensuite relayé, dans les années 1970, par d’autres supports de diffusion de l’extrême droite américaine, telle que la revue Liberty Bell, du néo-nazi George Dietz, ou même, en 1976, The Crusader, « journal officiel » du Ku Klux Klan, alors dirigé par David Duke [17]. Duke lui-même se fera l’inlassable propagateur de ces mensonges antisémites, tant en écrit qu’en paroles, via Twitter et Youtube, pour soutenir sa campagne contre le « suprémacisme juif ». Il est vrai que le texte de White aura entre-temps connu un second souffle à l’avènement d’Internet… Mais le plus étonnant n’est pas là. Car cette théorie du complot antisémite sera exploitée, raffinée et abondamment colportée par un autre mouvement, afro-américain celui-là, la « Nation of Islam » de Louis Farrakhan.

La reprise du mensonge par la « Nation of Islam »

« Nation of Islam », mouvement politico-religieux afro-américain dirigé depuis la fin des années soixante-dix par Louis Eugene Wilcott, rebaptisé Farrakhan, se revendique comme « musulman » et nationaliste. Farrakhan, qui avait appelé au meurtre du leader noir Malcolm X deux mois avant son assassinat en 1965, déclare publiquement vouloir redonner aux Noirs leur fierté, les invite à s’opposer à la délinquance, à pratiquer une rigueur morale jusque dans leur sexualité, à faire des études, à progresser dans la société. Mais son discours demeure fortement teinté d’homophobie, de misogynie, d’antisémitisme, et même de complaisance envers la scientologie. Récemment, il comparait encore les Juifs à des insectes nuisibles

A ce facteur structurel se greffent des considérations intéressant l’actualité du moment. En 1990, l’Irak du dictateur Saddam Hussein envahit le Koweït, mais en est rapidement chassé l’année suivante par une coalition internationale chapeautée par les Etats-Unis. Farrakhan, d’ailleurs invité à Bagdad peu avant l’ouverture des hostilités, en janvier 1991, dénonce ce conflit, qu’il voit comme organisé dans l’intérêt des puissants [18]. Il se réapproprie le discours de certains courants parmi les plus fanatiques du monde arabo-musulman : s’attaquant à la légitimité même de l’Etat d’Israël, il vitupère le gouvernement américain, accusé d’être l’instrument d’un grand complot juif mondial. C’est dans ce contexte qu’il fait élaborer la même année par une de ses officines, l’énigmatique « Département de Recherche Historique » de la « Nation of Islam », le livre que voici : The Secret Relationship Between Blacks and Jews [19].

Ledit livre, publié en 1991, se revendique comme un « volume premier » (il sera effectivement suivi de deux autres volumes, en 2010 et 2013). En près de 330 pages, assorties de 1274 notes infrapaginales, d’une bibliographie de cinq pages et de plusieurs annexes, l’ouvrage prétend dénoncer un imaginaire complot juif, intéressant la traite des Noirs : les Juifs auraient, les premiers, légitimé l’esclavage dans leur religion ; obsédés par l’argent, ils auraient entrepris de s’emparer du continent américain pour l’asservir et le piller, quitte à exterminer les Amérindiens ; ils auraient également initié et organisé la « traite négrière », d’où ils auraient tiré cette immense fortune qui, comme chacun sait, leur permet de tirer les ficelles de la politique mondiale ; durant la Guerre de Sécession, les Juifs auraient, bien évidemment, pris parti pour le Sud, sans trop toutefois s’investir sur le champ de bataille. The Secret Relationship appelle d’ailleurs d’autres damnés de la terre, tels que les Amérindiens, à s’opposer à la mainmise juive sur les Etats-Unis.

A l’évidence, The Secret Relationship s’inspire de l’opuscule du suprémaciste Walter White Jr. Thématique, argumentaire et méthodologie y sont identiques : l’ensemble repose sur une manipulation des sources, des citations hors-contextes, des affirmations mensongères ou tendancieuses, et une assimilation de la traite transatlantique à la Shoah. En témoignent les allusions au « Black Holocaust », organisé par des négriers qui ne sont autres que des « Holocaustships », lesquels ont déversé leurs esclaves dans des plantations tenues par des gardiens « évoquant les nazis des camps de concentration d’Auschwitz, Treblinka ou Buchenwald », si bien que « Nation of Islam » se paie le luxe de banaliser l’extermination des Juifs par les nazis (il est vrai que Farrakhan a lui-même versé dans le négationnisme).

A l’instar de Walter White Jr., le « Département de Recherche Historique » de « Nation of Islam » cite complaisamment des historiens juifs pour tenter d’étayer le propos, au nom du vieil axiome antisémite suivant : puisque les Juifs, menteurs pathologiques, admettent eux-mêmes le fait, c’est donc qu’il est vrai… The Secret Relationship se réapproprie, de même, l’allégation selon laquelle les Juifs, exploiteurs mais paresseux, auraient délégué la direction des navires à des « Gentils » : procédé qui se croit habile, dans la mesure où il est censé parer l’objection – fondée – selon laquelle pratiquement aucun commandant de navire négrier ne peut être identifié comme juif.

Premier volume de “The Secret Relationship Between Blacks and Jews” (Nation of Islam, 1991)

The Secret Relationship est taillé en pièces par les historiens (de toutes religions et couleur de peau, faut-il le signaler) dans les années qui suivent [20]. Dans les colonnes du New York Times, l’universitaire Henry Louis Gates Jr., lui-même afro-américain, dénonce le livre pour ce qu’il est – un brûlot antisémite, « l’un des exemples les plus sophistiqués de la littérature de haine » [21]. Cependant, et le fait préoccupait déjà M. Gates, l’ouvrage est symptomatique de tendances antisémites qui traversent alors la communauté noire américaine [22]. Deux universitaires afro-américains, du reste, prennent position en faveur de « Nation of Islam », à savoir Leonard Jeffries et Tony Martin. Le premier avait déjà prétendu, avant la parution de The Secret Relationship, que les Juifs avaient financé le commerce des esclaves (et, accessoirement, avaient fait main basse sur Hollywood avec la Mafia) [23]. Le second, pris la main dans le sac (il utilise The Secret Relationship comme support de cours), réplique qu’il est victime d’une « offensive juive », caractéristique de la prise de contrôle des médias par les Juifs [24].

Les pages de The Secret Relationship ne tardent pas à inonder le monde. Et notamment en France, sous l’égide d’un ancien baladin reconverti propagandiste antisémite, Dieudonné M’Bala M’Bala, sans oublier le « penseur » d’extrême droite Alain Soral – lesquels, comme Farrakhan, ont également professé diverses fadaises négationnistes. Leurs allégations n’ont rien de scientifique : elles reproduisent vulgairement l’imaginaire délirant du « complot juif mondial » dont témoigne l’ouvrage de la « Nation of Islam ». Mais le contexte, lourd de tensions mémorielles, créé un terreau favorable à leur prolifération.

Dissection du mythe

Réfuter The Secret Relationship nécessiterait tout un livre. Des historiens tels qu’Harold Brackman, Eli Faber, David Brion Davis s’y sont déjà attelés. Recensons tout de même certaines affirmations.

Inventeurs de l’esclavage, les Juifs ? C’est torturer le Talmud, et surtout oublier que l’esclavage était ancré dans les mœurs des peuples de l’Antiquité, et s’est épanoui indépendamment sur tous les continents. The Secret Relationship, du reste, s’avère particulièrement confus sur cette délicate question (qui n’occupe que quatre pages), parvenant à se contredire d’un paragraphe à l’autre, alléguant que les « lois juives » autorisent l’esclavage, mais qu’elles auraient été allègrement violées par les Juifs eux-mêmes [25]. Le fait est que, sous l’Antiquité, les Juifs ont pratiqué l’esclavage, comme les autres, et qu’ils l’ont encadré, comme les autres. Mais les persécutions antisémites vont sérieusement entraver leur « liberté d’entreprendre »…

De fait, alors que l’Europe se lance à la conquête du monde au XVe siècle, en recourant à la traite des Noirs, on voit mal comment les Juifs d’Europe pourraient y participer : massivement expulsés d’Angleterre, de France, d’Italie, d’Allemagne et de Hollande, ils ont élu domicile en Europe orientale, bien loin des circuits du trafic négrier. De même, les Juifs qui demeurent alors au Portugal et en Espagne, eux, sont contraints d’embrasser le christianisme : si certains restent secrètement fidèles à leur ancienne religion, d’autres, en revanche, deviennent, de génération en génération, de parfaits catholiques. Tous, en revanche, sont suspects aux yeux de l’Inquisition, qui leur inflige brimades, tortures et mises à mort. Rien d’étonnant à ce que ces « nouveaux convertis » ou leurs descendants finissent par quitter la péninsule ibérique pour des cieux plus cléments, à savoir les espaces coloniaux, notamment le Brésil portugais. Ils y participent, de manière non négligeable, à la traite transatlantique, au XVIIe siècle. Mais, comme le fait remarquer l’historien David Brion Davis, dans quelle mesure ces derniers, plusieurs dizaines voire centaines d’années après la conversion forcée de leurs ancêtres, peuvent-ils encore être qualifiés de Juifs [26] ? En toute hypothèse, Juifs et « nouveaux chrétiens » authentiques seront chassés du Brésil au milieu du XVIIe siècle, bien avant l’emballement de la traite dans cette région du monde [27].

Plusieurs des Juifs et « nouveaux convertis » (si tant est que le terme « nouveau » ait encore un sens deux siècles plus tard) émigrent alors aux Pays-Bas ou dans certaines colonies hollandaises, telles que la Nouvelle-Amsterdam (future New York) ou l’île de Curaçao, face à la côte du Venezuela. Les auteurs de The Secret Relationship s’efforcent, vaille que vaille, d’établir qu’ils auraient joué un rôle clef dans la traite négrière organisée par les Néerlandais. Malheureusement, les statistiques sont implacables. Ainsi, les Juifs constituaient certes la moitié de la population blanche à Curaçao en 1764, mais sur 5 534 esclaves, à peine 15 % appartenaient à des Juifs [28]. Du reste, au sein des possessions hollandaises, la participation, déjà réduite, des Juifs à la traite ou au travail forcé, n’a cessé de décliner, hostilité chrétienne aidant [29].

Tout aussi frauduleuse s’avère l’assertion selon laquelle les Juifs seraient devenus les piliers d’une grande entreprise esclavagiste, la Compagnie néerlandaise des Indes occidentales. Fondée en 1621, cette société allait promettre, huit ans plus tard, « de fournir aux colons autant de Noirs que possible » [30]. Mais à peine 18 Juifs ont accepté de participer à sa création, et n’y ont investi que 36 000 florins sur un capital total de… trois millions. Les Juifs n’ont constitué, au grand maximum, que 10 % de l’ensemble des actionnaires [31]. Nos propagandistes de la « Nation of Islam », au demeurant, connaissent ces statistiques, qu’ils mentionnent en notes infrapaginales – mais se limitent à suggérer qu’elles procéderaient d’une sous-estimation de l’influence juive, sans évidemment l’établir, ni même chercher à le faire [32].

Les siècles suivants, la participation des Juifs au commerce négrier et au travail forcé est tout aussi réduite. Au XVIIIe siècle, qui correspond à l’apogée de ce sinistre commerce, la proportion d’esclaves noirs transportés vers l’Amérique du Nord par bateaux appartenant à des Juifs ne dépasse pas 2% [33]. Sur la même période, à peine quelques centaines d’esclaves (sur plusieurs centaines de milliers) expédiés en Jamaïque l’ont été sur des navires dont un Juif était en tout ou partie le propriétaire [34]. Au XIXe siècle, les Juifs ne participent pas à la déportation vers le Brésil des 1 145 400 esclaves raflés en Afrique [35]. Bref, « l’on aurait du mal à trouver plus d’un ou deux trafiquants juifs dans le commerce triangulaire anglo-saxon, écrivait l’historien Hugh Thomas. Aaron Lopez et son beau-père, Jacobo Rodrigues Ribera, de Newport sur Rhode Island, sont les seuls que je connaisse. » [36]

Troisième volume de “The Secret Relationship Between Blacks and Jews” (Nation of Islam, 2013)

Aaron Lopez, précisément. The Secret Relationship nous le dépeint comme « le plus célèbre des trafiquants d’esclaves juifs », « le plus gros participant de l’Holocauste noir perpétré à Newport » [37]. De fait, Aaron Lopez (1731-1782) était un négociant juif d’origine portugaise ayant émigré en Amérique du Nord en 1752, où il y a fait fortune. Impitoyable envers les esclaves, exploiteur et profiteur, Lopez ne saurait toutefois mériter la palme de l’horreur que lui décerne la « Nation of Islam » : ses navires n’ont débarqué à Newport « que » 1 165 des 106 594 esclaves déportés à Newport au XVIIIe siècle [38]. Les véritables maîtres du marché aux esclaves de Newport n’étaient autres que des chrétiens – comme ailleurs.

Mais alors, si les Juifs n’ont pratiquement pas participé à la traite, au moins figuraient-ils parmi les plus gros propriétaires d’esclaves ? Nullement. Comme le rappelle Saul Friedman, « il y avait 697 681 esclaves en Amérique en 1790, et 1 538 022 en 1820. D’après les statistiques de recensement officielles, des Juifs détenaient 209 esclaves en 1790 et 701 en 1820. Ainsi, lorsque les Etats-Unis étaient encore dans l’enfance, et lorsque l’importation et le commerce des Africains étaient à leur apogée, les Juifs possédaient moins de trois pourcents d’un pourcent, 0,03 % de l’ensemble des esclaves d’Amérique. » Et Friedman d’ajouter que les Indiens Cherokee possédaient alors plus d’esclaves noirs que les Juifs [39] ! En 1830 aux Etats-Unis, ajoute David Brion Davis, sur 59 000 propriétaires d’au moins vingt esclaves, vingt-trois étaient juifs ; sur 11 000 propriétaires d’au moins cinquante esclaves, à peine quatre étaient juifs [40]. Peut-on parler, dans ces conditions, de suprématie juive ?

Ainsi, soulignent Marvin Perry et Frederick Schweitzer, « au cours des quatre siècles de traite transatlantique, les Juifs ont importé 2 % des 600 000 esclaves déportés aux Etats-Unis, et 1 % des dix millions d’esclaves embarqués vers les autres régions du continent américain » [41]. Une implication si faible qu’elle fera dire à l’historien David Brion Davis : « l’histoire [de l’esclavage] eût été la même en l’absence de négriers et de planteurs juifs » [42].

Le cas français

La France, au XVIIe siècle, possède un vaste empire colonial, qui s’étend au Canada, en Louisiane, dans l’espace de l’Océan Indien, et s’est solidement implanté dans les Antilles : Saint-Domingue, Martinique, Guadeloupe, Saint-Vincent, Sainte-Lucie, Dominique, Grenade, ainsi que Tobago au siècle suivant… C’est surtout dans cette région que s’épanouira l’esclavage. « De 1640 à 1840, les négociants du royaume de France sont à l’origine d’au moins 4 220 expéditions négrières », note l’historien Frédéric Régent [43]. Près de deux millions d’esclaves ont été importés vers les colonies françaises sur cette période [44]. En 1685, un édit de Louis XIV dit « Code Noir » pose un cadre juridique à l’esclavage : il impose certes des obligations aux propriétaires d’esclaves, mais dénie tout droit à leurs « propriétés » [45]. Ce texte s’applique d’abord aux Petites Antilles, puis à Saint-Domingue en 1687, à la Guyane en 1704, en attendant les Mascareignes et la Louisiane.

Mais ce système a-t-il été mis en place et exploité par les Juifs ? A en croire The Secret Relationship, les Juifs, s’établissant en Martinique, y auraient également implanté en 1655 l’industrie sucrière, laquelle, il est vrai, s’est abondamment nourrie de l’esclavage. Un certain Benjamin D’Acosta (ou Dacosta) en serait à l’origine ; lui-même aurait été accompagné de 900 Juifs, et de 1 100 esclaves. En 1680, précise le texte, chaque Juif de Martinique possédait au moins un esclave, certains une dizaine, voire 21 dans un cas, et 30 pour un autre [46].

Une première objection vient tout de même à l’esprit : l’article premier du Code Noir édicté par Louis XIV en 1685 enjoint « à tous nos officiers de chasser de nosdites îles tous les juifs qui y ont établi leur résidence ». The Secret Relationship ne s’y attarde guère [47]. Dieudonné M’Bala M’Bala et ses affidés, eux, croient avoir trouvé la parade : le Code Noir tendait à l’éviction des Juifs du système esclavagiste des Antilles parce que ces derniers y étaient, précisément, trop puissants [48] ! Là encore, hélas, la réalité est toute autre…

Le Code Noir (1685)

Tout d’abord, en effet, dans le cas français (comme ailleurs), les armateurs des négriers et leurs investisseurs étaient, dans leur écrasante majorité, protestants, dans une moindre mesure catholiques (au point que ces derniers critiquaient « l’esprit dominant » des premiers !)[49]. De même, les Juifs étaient relativement rares dans les Antilles françaises. Quelques Juifs avaient accompagné les protestants hollandais qui avaient fui le Brésil dans les années 1650, et s’étaient établis en Martinique, où ils allaient bientôt être rejoints par une poignée de Juifs partis de métropole ou de Hollande (dont un neveu du philosophe Spinoza). Le chiffre de 900 Juifs cités par The Secret Relationship n’a aucun fondement : en vérité, sept à huit Juifs ont quitté le Brésil pour débarquer en Martinique, en 1654, sans que l’on sache s’ils possédaient des esclaves. Dix ans plus tard, à peine 22 Juifs, aidés de 5 serviteurs blancs et 20 esclaves, habitaient l’île [50].

Contrairement à une idée reçue, les Juifs ne s’étaient pas installés, à cette époque, en Guadeloupe (« Nous avons aussi des marchands juifs, mais qui ne sont pas fixés au pays », écrit le Révérend Père Raymond Breton en 1656) [51]. Et, contrairement à une autre idée reçue, les Juifs n’ont pas introduit aux Antilles l’industrie sucrière. Comme l’a noté un historien, Gérard Lafleur, l’affirmation reposait sur le fait « que bon nombre d’habitants sucriers avaient des prénoms issus de l’Ancien Testament. Or, ces derniers étaient souvent portés par des protestants qui étaient plus nombreux dans le sucre. » [52] Quant à ce Benjamin d’Acosta, accusé d’avoir, en 1655, érigé en Martinique la première plantation et la première raffinerie à sucre de ce territoire, l’affirmation laisse, à tout le moins, perplexe : l’intéressé est né en… 1651, et sa présence n’est attestée en Martinique qu’à compter de l’année 1680, date à laquelle il apparaît sur un recensement qui lui attribue un serviteur et quatre esclaves [53] !

Ainsi que l’atteste ce dernier exemple, certains Juifs ont été effectivement propriétaires d’esclaves, comme les autres Blancs, catholiques et protestants, de même que les ordres religieux des Dominicains et des Jésuites [54]. La communauté juive de Martinique regroupait 68 âmes en 1680, dont seize étaient « maîtres de cases », auxquels se rattachaient, alors, 96 esclaves [55] : de telles proportions se révèlent largement inférieures à la moyenne locale, puisqu’en 1685, la proportion d’esclaves par habitant était de 13,5 [56]

Quoique mineure, la présence des Juifs dans les Antilles a suscité l’hostilité des Jésuites. Ces derniers, rongés par l’antisémitisme, ont exagéré leur influence commerciale, dénoncé leur supposée connivence avec les Pays-Bas (devenus entre-temps ennemis de la France), vitupéré leur pratique religieuse, qui, selon eux, détournait « tant » d’esclaves du catholicisme… Les Jésuites, dans les années 1670, ont abreuvé la métropole de messages d’alerte où la paranoïa le disputait à la mauvaise foi, réclamant l’expulsion des Juifs de Martinique. Mais, malgré l’appui d’un haut personnage, à savoir le comte de Blénac, Gouverneur général des « Isles d’Amérique », leurs suppliques, ont été, dans un premier temps, écartées par le régime monarchique, notamment Colbert [57].

Non que la monarchie métropolitaine ait été exempte d’antisémitisme. Colbert lui-même prétendait en 1669 que « le commerce des estrangers avec les Isles est pernicieux, que ce sont des sangsues et des Juifz qui sucent le sang et nous font périr à la fin » [58]. Colbert s’est toutefois montré tolérant envers les Juifs au sein des colonies, sans doute parce qu’il leur prêtait une habileté commerciale supérieure à la moyenne, qui ne pouvait à ses yeux que favoriser le développement de l’empire colonial naissant aux Antilles. En quoi il errait quelque peu, dans la mesure où le rôle des Juifs dans ladite expansion commerciale a été quasi-nul [59]. Or cette tolérance, habitée de préjugés antisémites, avait un prix : en 1682, Colbert allait interdire l’exercice public de la religion juive en Martinique.

A la suite du décès de Colbert, en 1683, Louis XIV a cédé aux pressions des Jésuites de Martinique, et ordonné l’expulsion des Juifs des Antilles françaises [60]. Deux ans plus tard, le Roi-Soleil allait durcir le ton, dans le cadre d’une vaste politique d’unification religieuse derrière l’étendard du catholicisme : abrogation de l’Edit de Nantes, expulsion des Juifs, « ennemis déclarés du nom chrétien » (article premier du Code Noir). Les mobiles de Louis XIV épousaient les « arguments » des Jésuites : à la haine religieuse se greffait une méfiance envers une diaspora soupçonnée de collusion avec les Pays-Bas [61]… En d’autres termes, contrairement à ce qu’allèguent Dieudonné et sa suite, le Code Noir ne cherchait nullement à démanteler une quelconque prépondérance juive dans les colonies, mais à promouvoir une politique antisémite, répondant à la paranoïa et à la bigoterie de l’époque.

Les Juifs n’avaient plus qu’à se réfugier dans les territoires hollandais des Antilles, tels que Curaçao ou Saint-Eustache [62]. La législation antisémite a perduré au XVIIIe siècle, mais son application s’est avérée erratique, plus souple envers les Juifs d’origine portugaise, rigoureuse envers les autres. Elle n’a pas interdit à certaines familles juives, telle la dynastie Gradis, de prospérer, mais a cependant alimenté bien des persécutions : notamment, les quelques dizaines de Juifs résidant à Saint-Domingue ont manqué de peu d’être expulsés de l’île en 1765 [63].

Bref, les agents français de la traite transatlantique (armateurs, négociants, planteurs) étaient majoritairement Blancs, protestants, catholiques, et ne comptaient guère de Juifs. S’y sont ajoutés les Noirs eux-mêmes, lesquels, dénommés « libres de couleur » (le plus souvent affranchis ou descendants d’affranchis), pouvaient acquérir des esclaves. C’est ainsi qu’à la fin du XVIIIe siècle, près de 5% des esclaves de Guadeloupe étaient possédés par des « libres de couleur », 30 % à Saint-Domingue [64]. Sur cette dernière île, un certain Toussaint-Louverture, pour ne citer que cet exemple, était à la tête d’une plantation comprenant treize esclaves en 1779 [65]. Preuve que l’esclavage, tant la traite que le travail forcé, était bel et bien, malheureusement, l’affaire de tous.

Un mensonge historique

De tout ce qui précède, il résulte ceci : prêter aux Juifs un rôle majeur, quasi-monopolistique, dans la traite transatlantique et le travail forcé des Noirs dans les colonies occidentales, notamment en Amérique, est un mensonge historique. Ce mensonge repose sur une falsification caractérisée des archives et des travaux d’historiens sur la question – voire des plus élémentaires règles mathématiques. Non que les Juifs aient davantage fait preuve d’idéalisme que les autres : le fait qu’ils aient joué un rôle des plus réduits dans l’organisation de l’esclavage résulte sans doute, directement ou indirectement, des persécutions antisémites, qui leur interdisaient quasiment l’accès à ce secteur économique. Dans cette logique, il est d’autant plus piquant de leur prêter, rétrospectivement, un monopole qui leur était interdit par l’antisémitisme de l’époque.

Une telle falsification de l’Histoire cherche évidemment à redonner du souffle au vieux mythe du « complot juif mondial ». C’est pourquoi elle naît dans les milieux suprémacistes américains, avant d’être reprise par l’extrême droite blanche, tant américaine que française, ainsi que des démagogues noirs antisémites, tels que Farrakhan et Dieudonné M’Bala M’Bala. Ces derniers, ce faisant, instrumentalisent hypocritement la souffrance des victimes de la traite, et la mémoire qu’ils ont léguée à leurs descendants, au nom d’un discours de haine.

 

Notes :

[1] Sur ce point, voir Olivier Pétré-Grenouilleau, Traites négrières. Essai d’histoire globale, Paris, Gallimard, 2004 ; Jacques Heers, Les négriers en terres d’Islam. La première traite des Noirs. VIIe – XVIe siècle, Paris, Perrin, 2003. Le bilan démographique de la traite transatlantique a été précisément déterminé par Philip D. Curtin, The Atlantic Slave Trade. A Census, Madison, University of Wisconsin Press, 1969.

[2] Alexis de Tocqueville, De la démocratie en Amérique, Paris, Gallimard, coll. « Folio-Histoire », 1986, vol. I, p. 498-499.

[3] Sur ce point, voir les synthèses de Claude Fohlen, Histoire de l’esclavage aux Etats-Unis, Paris, Perrin, 2007 et de Katia M. de QueirosMattoso, Être esclave au Brésil. XVIe – XIXe siècles, Paris, Hachette, 1985.Olivier Pétré-Grenouilleau rappelle que Rio de Janeiro a été le premier port atlantique, en importance, de la traite, et non point Liverpool (Traites négrières, op. cit., p. 158).

[4] Cité dans Hugh Thomas, La traite des Noirs 1440-1870, Paris, Robert Laffont, coll. « Bouquins », 2006, p. 511-512.

[5] Catherine Coquery-Vidrovitch, « L’esclavage, une question noire », L’Histoire, n°400, juin 2014, p. 42-47.

[6] Olivier Grenouilleau, La révolution abolitionniste, Paris, Gallimard, 2017.

[7] Fohlen, Histoire de l’esclavage aux Etats-Unis, op. cit., p. 24-38.

[8] Sur le cas français, voir Christine Chivallon, « L’émergence récente de la mémoire de l’esclavage dans l’espace public : enjeux et significations  », Cahiers d’histoire. Revue d’histoire critique, 2002, n°89, p. 41-60 ; Françoise Vergès, « Traite des noirs, esclavage colonial et abolitions : comment rassembler les mémoires  », Hermès, La Revue 2008/3 (n°52), p. 51-58. Lire également Olivier Pétré-Grenouilleau, « Traite négrière : les détournements de l’histoire », Le Monde, 5 mars 2005.

[9] Ibrahima Diop, « L’esclavage et les traites en Afrique occidentale : entre mémoires et histoires », in Adame Ba Konaré (dir.), Petit précis de remise à niveau sur l’histoire africaine à l’usage du Président Sarkozy, Paris, La Découverte, 2008 et 2009, p. 205.

[10] Anne Chemin, « La traite en héritage », Le Monde, 2 mai 2014.

[11] Sur ce sujet, voir Damien Amblard, Le « fascisme » américain et le fordisme, Paris, Berg, 2007.

[12] Henry Ford, The International Jew. The World’s foremost problem, Dearborn, Dearborn Publ., 1920, vol.I, chap. 3. : « Jewish History in the United States » (parution initiale :The Dearborn Independent, 5 juin 1920).

[13] Ibid., chap. 53 et 54  (parution initiale : The Dearborn Independent, 24 septembre et 1er octobre 1921). Tout se passe chez Ford comme si, pour lui, un Américain pouvait choisir la couleur de son esclave, à condition qu’il soir noir…

[14] Ibid., vol. IV, chap. 63 : « Gigantic Jewish Liquor Trust and Its Career » (parution initiale : The Dearborn Independent, 24 décembre 1921).

[15] Anti-Defamation League of B’nai B’rith, Extremism on the Right: A Handbook, 1983, p. 49.

[16] Glen Jeansonne, Women of the Far Right. The Mothers′ Movement & World War II, University of Chicago Press, 1997, p. 36. Sur Smith, voir, du même auteur, Gerald L.K. Smith: Minister of Hate, New Haven, Yale University Press, 1988.

[17]  Tyler Bridges, The rise of David Duke, Jackson, University Press of Mississippi, 1994, p. 22-23.

[18] Matthias Gardell, In the Name of Elijah Muhammad: Louis Farrakhan and The Nation of Islam, Duke University Press Books, 1996, p. 162-163.

[19] Vibert L. White Jr., Inside the Nation of Islam.A historical and personal testimony by a Black Muslim, Gainesville, University Press of Florida, 2001, p. 113-115. Farrakhan pourrait avoir fait preuve d’opportunisme : fragilisé par un cancer de la prostate, il pouvait redouter des guerres de succession au sein de son mouvement. En relançant, avec un tel brûlot et dans un tel contexte, une « stratégie de la tension », n’aurait-il pas cherché à renforcer sa propre assise sur « Nation of Islam » ? Après tout, une aussi violente campagne antisémite revenait à isoler « Nation of Islam » sur l’échiquier politique américain. Qui, dans l’entourage de Farrakhan, aurait alors osé une révolution de palais, ou un rapprochement avec d’autres partis politiques ? De surcroît, souffler sur les braises de la judéophobie présentait l’intérêt de séduire les couches populaires afro-américaines, du moins Farrakhan, antisémite lui-même, était-il supposé le croire.

[20] Voir les réfutations de Harold Brackman, Farrakhan’s Reign of Historical Error. The Secret Relationship Between Blacks and Jews, Los Angeles, Simon Wiesenthal Center, 1992 ; Seymour Drescher, « The role of Jews in the transatlantic slave trade », Immigrants & Minorities, 1993, vol. 12, n°2, p. 113-125 ; David Brion Davis, « The Slave Trade and the Jews », The New York Review of Books, 22 décembre 1994 ; Eli Faber, Jews, Slaves, and the Slave Trade. Setting the Record Straight, New York, New York University Press, 1998 ; Saul Friedman, Jews and the American Slave Trade, New Brunswick, Transaction Publishers, 1998.

[21] Henry Louis Gates Jr., « Black Demagogues and Pseudo-Scholars », New York Times, 20 juillet 1992.

[22] Sur ce point, voir la synthèse d’André Kaspi, Les Juifsaméricains, Paris, Plon, 2008, p. 280-284 ainsi que Barry Mehler, « African American Racism in the Academic Community », The Review of Education, 1993, vol. 15, n°3-4, p. 341-353.

[23] Notamment dans son discours « Our sacred mission », prononcé à New York le 20 juillet 1991.

[24] Tony Martin, The Jewish Onslaught, Dover, The Majority Press, 1993.

[25] The Secret Relationship, op. cit., p. 202-205.

[26] David Brion Davis, « Jews in the slave trade », in Jack Salzman& Cornel West (dir.),Struggles in the Promised Land. Towards a History of Black-Jewish Relations in the United States, New York, Oxford, Oxford University Press, 1997, p. 69. Sur le rôle des « nouveaux chrétiens » dans la traite, voir la mise au point de Friedman, Jews and the American Slave Trade, chap. 4.

[27] De 1626 à 1650, ce qui correspond à peu près à la période d’occupation de plusieurs portions du Brésil par les Hollandais, lesquels manifestent une plus grande tolérance envers les Juifs et « nouveaux convertis », environ 100 000 esclaves sont importés d’Afrique, dont plus de 26 000 par la Compagnie néerlandaise des Indes occidentales ; après le départ forcé des Juifs et « nouveaux convertis » dans les années 1650,  près de 350 000 esclaves sont expédiés au Brésil jusqu’à la fin du XVIIIe siècle (Curtin, The Atlantic Slave Trade, op. cit.,p. 119 et Faber, Jews, slaves and the Slave Trade, op. cit., p. 261). Voir également Faber, Jews, slaves and the Slave Trade, op. cit., p. 16-17.

[28] Friedman, Jews and the American Slave Trade, op. cit. et Faber, Jews, slaves and the Slave Trade, op. cit., p. 4.

[29]Ibid.

[30] Thomas, La traite des Noirs, op. cit., p. 167.

[31] Friedman, Jews and the American Slave Trade, op. cit., p. 217 et Faber, Jews, slaves and the Slave Trade, op. cit., p. 21-22.

[32] The Secret Relationship, op. cit., p. 22-24.

[33] Friedman, Jews and the American Slave Trade, op. cit., p. 218. Au total, de 1701 à 1810, près de 348 000 esclaves auraient été déportés dans les colonies britanniques d’Amérique du Nord (Curtin, The Atlantic Slave Trade, op. cit.,p. 268).

[34] Faber, Jews, slaves and the Slave Trade, op. cit., p. 70-75.

[35] Friedman, Jews and the American Slave Trade, op. cit., p. 218.

[36] Thomas, La traite des Noirs, op. cit., p. XII.

[37] The Secret Relationship, op. cit., p. 263.

[38] Marvin Perry & Frederick M. Schweitzer, Antisemitism. Myth and Hate from Antiquity to the Present, New York, Palgrave Macmillan, 2002 et 2005, p. 245.

[39] Friedman, Jews and the American Slave Trade, op. cit., p. 217. Voir également Fohlen, Histoire de l’esclavage aux Etats-Unis, op. cit., p. 158.

[40] Davis, « Jews in the slave trade », op. cit., p. 71.

[41] Perry & Schweitzer, Antisemitism, op. cit., p. 246.

[42] David Brion Davis, « The Slave Trade and the Jews », In the Image of God: Religion, Moral Values, and Our Heritage of Slavery, New Heaven, Yale University Press, 2001, p. 70.

[43] Frédéric Régent, La France et ses esclaves. De la colonisation aux abolitions (1620-1848), Paris, Grasset & Fasquelles, 2007 et Fayard, coll. « Pluriel », 2010, p. 43.

[44] Régent, La France et ses esclaves, op. cit., p. 51.

[45] Louis Sala-Molins, Le Code Noir ou le calvaire de Canaan, Paris, Presses Universitaires de France, 2011.

[46] The Secret Relationship, op. cit., p. 78. Les auteurs font vaguement mention de la famille Gradis, qui aurait possédé de nombreuses terres en Martinique et Saint-Domingue. De fait, ladite famille, établie à Bordeaux, a prospéré au XVIIIe siècle, grâce aux échanges entre la métropole et leurs établissements commerciaux en Martinique et à Saint-Domingue. Contrairement à ce que suggère The Secret Relationship, une telle réussite est exceptionnelle. Friedman, Jews and the American Slave Trade, op. cit., chap. 6, indique que sur 500 établissements commerciaux d’importance à Bordeaux, une trentaine appartenaient peut-être à des Juifs, et pas plus de trois ou quatre d’entre eux ont participé au commerce colonial.

[47] L’ouvrage évoque – très – vaguement la législation antisémite de l’Ancien Régime dans la note de bas de page n°792, et attribue le Code Noir… à Louis XV.

[48] Mme Rosa Amelia Plumelle-Uribe, une avocate colombienne dont la rigueur n’est pas la première vertu, concède certes que « le christianisme était, avec la supériorité de la race blanche, le pilier idéologique sur lequel reposait la politique génocidaire dans l’univers concentrationnaire d’Amérique », mais n’hésite pas à reprendre à son compte les divagations prêtant aux Juifs un rôle majeur dans l’esclavage aux Antilles : « Les esclavagistes juifs possèdent un savoir-faire précieux concernant la canne à sucre et son utilisation dans la production du rhum ». Voir Rosa Amelia Plumelle Uribe, « Crime contre l’humanité, mémoire et devoir de réparation », Première Conférence Européenne sur le Racisme anti-Noir, Genève, 17 et 18 mars 2006 : http://www.mdes.org/article85.html. A cette occasion, Mme Plumelle-Uribe prétendait que le régime de Louis XIV aurait, malgré le Code Noir, cherché à épargner les Juifs en raison de leurs aptitudes intéressant l’industrie sucrière, et se prévalait des travaux de Pierre Pluchon, Nègres et Juifs au XVIIIe siècle. Le racisme au Siècle des Lumières, Paris, Tallandier, 1984. Or, cet historien n’affirmait rien de tel (p. 108-110).

[49] Liliane Crété, La traite des nègres sous l’Ancien Régime, Paris, Perrin, 1989, p. 37-59.

[50] Jacques Petitjean-Roget, « Les Juifs à la Martinique sous l’ancien régime », Revue d’histoire des colonies, vol. 43, n°151, 2e trimestre 1956, p. 140-141.

[51] Gérard Lafleur, « Les Juifs aux Îles françaises du Vent (XVIIe-XVIIIe siècles) », Bulletin de la Société d’Histoire de la Guadeloupe, n°65-66, 3e-4e trimestre 1985, p. 82. Inexplicablement, Friedman (Jews and the American Slave Trade, op. cit., chap. 6) mentionne la présence de 200 Juifs en Guadeloupe en 1685, lesquels auraient possédé 900 esclaves, mais ne cite aucune source à ce titre.

[52] Ibid., p. 78. Sur l’industrie sucrière et l’esclavage, voir Pierre Dockès, « Les pérégrinations d’un système productif : l’esclavage et le sucre du Moyen Âge à la fin du XIXe siècle », Bulletin de la Société d’Histoire de la Guadeloupe, n°148, septembre-décembre 2007, p. 87– 115.

[53] Jacques Petitjean-Roget, « Les Juifs à la Martinique sous l’ancien régime », Revue d’histoire des colonies, vol. 43, n°151, 2e trimestre 1956, p. 153. Lafleur, « Les Juifs aux Îles françaises du Vent », op. cit., p. 105 et 118, rappelle qu’il aurait existé en Martinique plusieurs Benjamin Dacosta et/ou d’Acosta, dont on sait cependant peu de choses.

[54] Régent, La France et ses esclaves, op. cit., p. 70-72.

[55] Lafleur, « Les Juifs aux Îles françaises du Vent », op. cit., p. 77-131 ; Petitjean-Roget, « Les Juifs à la Martinique sous l’ancien régime », op. cit., p. 138-158 (statistiques p. 146-148).

[56] Régent, La France et ses esclaves, op. cit., p. 70.

[57] Lafleur, « Les Juifs aux Îles françaises du Vent », op. cit., p. 108-115.

[58] Cité dans Cornelius J. Jaenen, « Le colbertisme (suite) », Revue d’histoire de l’Amérique française, vol. 18, n°2, septembre 1964, p. 252.  La même année, le premier président du parlement de Rouen, Claude Pellot, assimilait les marchands portugais à des « Juifs quoy’quils faissent profession d’estre Catholiques » (Ibid., p. 257).

[59] Friedman, Jews and the American Slave Trade, op. cit., chap. 6.

[60] Lafleur, « Les Juifs aux Îles françaises du Vent », op. cit., p. 115-117.

[61] Pluchon, Nègres et Juifs au XVIIIe siècle, op. cit., p. 108-109.

[62] Ibid., p. 118-119.

[63] Friedman, Jews and the American Slave Trade, op. cit., chap. 6 ; Pluchon, Nègres et Juifs au XVIIIe siècle, op. cit., p. 91-101.

[64] Régent, La France et ses esclaves, op. cit., p. 73.

[65] Jacques de Cauna, Toussaint Louverture et l’indépendance d’Haïti : témoignages pour un bicentenaire, Paris, Karthala, 2004, p. 63.

 

L’auteur : Nicolas Bernard est l’auteur de La Guerre germano-soviétique. 1941-1945 (éd. Tallandier, 2013, préface de François Kersaudy). Il co-anime avec Gilles Karmasyn le site Pratique de l’Histoire et Dévoiements négationnistes (PHDN.org).


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